Le 7 octobre 2022, le mouvement Le handicap sans pauvreté a présenté ce mémoire au Comité permanent des finances du gouvernement du Canada, dans lequel nous formulons nos recommandations concernant le projet de loi C-22, la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap.
Recommandations
Afin que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées soit accessible aux personnes en situation de handicap admissibles d’ici 2023, après l’adoption du projet de loi C-22, nous demandons que le gouvernement du Canada s’engage à verser 10 milliards de dollars par année pour cette prestation. Selon les éléments contextuels présentés dans notre mémoire, nous estimons qu’environ 1 million de Canadiens seront admissibles à la prestation, ce qui oriente notre recommandation pour le budget annuel de la prestation.
Pour appuyer la réalisation de l’investissement, nous recommandons :
- Que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées, une prestation supplémentaire, soit d’au moins 1 000 $ par mois, indexée à l’inflation.
- Que toutes les personnes qui reçoivent les prestations suivantes soient admissibles à la Prestation canadienne pour les personnes handicapées :
- Programmes provinciaux d’aide sociale destinés aux personnes en situation de handicap;
- Crédit d’impôt pour personnes handicapées
- Régime de pensions du Canada — prestation d’invalidité/Régime de rentes du Québec — rentes d’invalidité
- Prestations pour les anciens combattants.
- Que le gouvernement considère un seuil d’admissibilité d’au moins 54 000 $
Justification
L’objectif de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées est de sortir les Canadiens en situation de handicap de la pauvreté et de combler une énorme lacune dans notre filet de sécurité sociale fédéral. Le gouvernement s’est fixé de grands objectifs en matière de réduction de la pauvreté, et l’introduction de cette prestation constituera une étape importante vers l’atteinte de ces objectifs, étant donné que les personnes en situation de handicap sont surreprésentées par un facteur de 2 pour 1 dans le groupe des Canadiens en situation de pauvreté. Les objectifs de la stratégie de réduction de la pauvreté sont les mêmes que ceux de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées : vivre dans la dignité, favoriser l’égalité des chances et l’inclusion, et améliorer la résilience et la sécurité.
Contexte
Le Canada a de quoi être fier de son bilan en matière de droits des personnes en situation de handicap et de législation connexe, de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (1982) à la Loi canadienne sur l’accessibilité (2019). La signature de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (2010) et du Protocole facultatif (2018) a également démontré cet engagement. L’article 28 de la Convention stipule que « les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat […] et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap. »
L’engagement d’éliminer la pauvreté chez les personnes en situation de handicap au Canada a été annoncé dans le discours du Trône de 2020, par l’annonce de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées. À l’heure actuelle, le projet de loi C-22 visant à créer une nouvelle prestation canadienne pour les personnes handicapées est à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes. Le 20 septembre 2022, la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’oeuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, Carla Qualtrough, a ouvert le débat en situant cette prestation dans le contexte de l’histoire canadienne, rappelant que l’ancien premier ministre Lester B. Pearson avait déclaré qu’aucun aîné ne devrait vivre dans la pauvreté en 1967, donnant lieu au Supplément de revenu garanti, puis, en 2016, que le gouvernement actuel avait affirmé qu’aucun enfant ne devrait vivre dans la pauvreté, ce qui s’était traduit par l’Allocation canadienne pour enfants. La ministre a ensuite ajouté :
« Aujourd’hui, j’amorce mon discours en déclarant ceci : au Canada, nulle personne handicapée ne devrait vivre dans la pauvreté. »
Malheureusement, beaucoup trop de personnes en situation de handicap vivent dans la pauvreté. Selon Statistique Canada (2018) [i], alors que 10 % des personnes sans incapacité vivent sous le seuil de la pauvreté, 14,6 % des personnes ayant une incapacité légère vivent sous le seuil de la pauvreté, ce pourcentage grimpant à 28,3 % pour celles ayant une incapacité plus grave. De plus, ces données sont antérieures à la pandémie. Nous savons que la pandémie a touché de façon disproportionnée les personnes en situation de handicap.
L’écart entre les programmes d’aide aux personnes en situation de handicap et les autres programmes a été mis en évidence de façon très marquée par les programmes d’aide liés à la pandémie. Valerie Jacob a lancé une contestation fondée sur la discrimination en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés [ii} en raison de son incapacité à accéder à des programmes comme la PCU. Les personnes en situation de handicap affirment souvent que la loi les condamne à la pauvreté. De plus, la vérificatrice générale indique que « le gouvernement n’a pas une idée claire des populations difficiles à joindre qui n’accèdent pas aux prestations destinées à les aider [iii] », de sorte que même lorsque des programmes sont en place, les mesures ne sont pas suffisantes pour assurer la liaison entre les prestations disponibles et les Canadiens les plus vulnérables.
Cependant, la pandémie n’est pas entièrement responsable. Les personnes en situation de handicap vivaient dans la pauvreté avant la pandémie, et la situation n’a fait que s’aggraver depuis. Les Canadiens admissibles à l’aide fédérale, provinciale ou territoriale aux personnes en situation de handicap touchent un revenu qui correspond au maximum aux deux tiers du seuil officiel de la pauvreté et souvent à la moitié de ce dernier. Prenons l’exemple de Toronto, où le seuil officiel de pauvreté du Canada est de 2006 $ alors que la prestation du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) est de 1169 $. Seulement 3 des 13 programmes provinciaux et territoriaux d’aide aux personnes en situation de handicap sont indexés à l’inflation. À mesure que celle-ci augmente, ces programmes prennent encore plus de retard et les personnes en situation de handicap vivent dans une pauvreté encore plus intolérable.
Tous les jours, nous entendons des histoires de personnes qui doivent choisir entre les médicaments et la nourriture, qui n’ont pas les moyens de se payer un transport pour aller à des rendez-vous médicaux ou obtenir des services. L’accès à un logement abordable et accessible constitue un autre facteur de stress important pour les personnes en situation de handicap vivant dans la pauvreté. Pour certaines, la situation est encore plus critique. Madeline [iv] pourrait choisir de mettre fin à ses jours avec l’aide médicale à mourir (AMM) au cours des prochains mois parce qu’elle n’a pas les moyens de payer les traitements dont elle a besoin pour vivre. Malheureusement, Madeline n’est pas un cas isolé, car nous entendons régulièrement parler d’autres personnes en situation de handicap qui choisissent d’opter pour l’aide médicale à mourir en raison de leur pauvreté et non d’une maladie en phase terminale.
Il faut également tenir compte du fait que la situation de handicap coûte plus cher que celle sans handicap. Bien que le Canada n’ait pas encore recueilli de données à ce sujet, des recherches menées dans des pays comparables (Royaume-Uni, Australie, Irlande) révèlent que la vie avec une incapacité de gravité médiane coûte 40 % de plus qu’une vie sans invalidité, tandis que ce surplus monte à 65 % et plus pour une incapacité grave. Par conséquent, les calculs sur la pauvreté des personnes en situation de handicap qui ne tiennent pas compte de cet aspect sous-estiment le niveau de pauvreté des personnes en situation de handicap au Canada.
Montant de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées
Nous avons entendu à maintes reprises que l’objectif de la prestation est de compléter celles offertes par les provinces et d’autres programmes fédéraux d’aide aux personnes en situation de handicap, et que ce supplément devrait être un montant fixe pour tous les Canadiens en situation de handicap admissibles. Compte tenu de l’objectif de sortir tous les Canadiens en situation de handicap de la pauvreté, le montant de cette prestation mensuelle doit être suffisant pour sortir tous les Canadiens en situation de handicap de la pauvreté, peu importe où ils vivent. Déterminer ce montant est complexe. Le seuil de pauvreté officiel du Canada comporte plus de 50 montants différents, établis selon les caractéristiques de la collectivité et la mesure du panier de consommation. Les prestations d’aide aux personnes en situation de handicap vont de programmes fédéraux comme le Régime de pensions du Canada – Prestations d’invalidité aux prestations d’aide provinciale, le cas échéant, et tous les montants diffèrent.
Nous sommes d’avis qu’un montant raisonnable, au départ, pour sortir les Canadiens en situation de handicap du seuil actuel de pauvreté consiste en une Prestation canadienne pour les personnes handicapées supplémentaire de 1 000 $ par mois, indexée à l’inflation.
Cependant, comme cela a été mentionné précédemment, nous savons que l’incapacité entraîne des coûts supplémentaires. Nous sommes convaincus que pour les années à venir, le gouvernement doit effectuer des recherches et établir le montant de ces coûts supplémentaires afin d’augmenter ce supplément en conséquence.
Admissibilité à la Prestation canadienne pour les personnes handicapées
Nous sommes d’avis que les personnes qui sont déjà admissibles à une prestation d’aide aux personnes en situation de handicap provinciale, territoriale ou fédérale doivent être considérées comme étant admissibles à la Prestation canadienne pour les personnes handicapées.
Exiger des personnes en situation de handicap qu’elles se plient continuellement à des formalités bureaucratiques pour obtenir des prestations auxquelles elles ont clairement droit est humiliant, prend du temps et coûte de l’argent. Compte tenu du manque actuel de médecins de famille, exiger que l’admissibilité soit encore et toujours certifiée par un médecin constituera un obstacle impossible à surmonter pour de nombreux Canadiens en situation de handicap. Le fait d’associer ces exigences à une nouvelle prestation renforcerait les comportements négatifs mis en évidence dans le rapport de la vérificatrice générale.
Nous pensons qu’environ un million de Canadiens en situation de handicap seraient admissibles à la prestation et nous estimons donc que le montant à prévoir dans ce budget devrait être d’environ 10 milliards de dollars par année.
Seuil d’admissibilité
Les Canadiens en situation de handicap qui peuvent travailler souhaitent travailler. Cependant, ce travail est souvent temporaire et mal rémunéré. Pour que ce travail profite aux Canadiens en situation de handicap, nous sommes d’avis que le seuil d’admissibilité doit en tenir compte et ne devrait pas être inférieur à 54 000 $.
Une économie qui intègre les personnes en situation de handicap fait en sorte que l’argent dont les personnes en situation de handicap ont besoin pour se sortir de la pauvreté finit par revenir dans notre économie, car cet argent est dépensé pour le loyer, l’épicerie, les services publics, le transport et les biens et services spécialisés pour les personnes en situation de handicap, comme l’équipement et les soins. Les personnes en situation de handicap sont prêtes à jouer pleinement leur rôle de citoyens qui aident le Canada à se remettre de la pandémie. Elles possèdent un pouvoir d’achat unique. Celles qui en ont la capacité sont prêtes à travailler et toutes les personnes en situation de handicap souhaitent être intégrées à la prospérité et à la croissance du Canada dans les années à venir. Nous comptons sur ce budget pour les aider à avoir les moyens d’y parvenir.
Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-22, la ministre Qualtrough a mentionné :
Au Canada, nous allons au-delà de la devise de la communauté des personnes handicapées, « Rien ne se fera sur nous sans nous », en reconnaissant que chaque décision prise par le gouvernement, chaque programme conçu et chaque service fourni ont une incidence sur les personnes handicapées. Nous sommes passés à la version abrégée, « Rien sans nous », parce que tout nous concerne
Nous demandons au Comité permanent des finances de prendre en compte cette position au moment de prendre ses décisions. Chaque décision prise a effectivement une incidence sur les personnes en situation de handicap et nous vous demandons d’appuyer financièrement la Prestation canadienne pour les personnes handicapées dans le budget de 2023.
[i] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-654-x/89-654-x2018002-fra.htm
[iii] https://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_202205_01_f_44033.html
[iv] https://ipolitics.ca/2021/11/15/the-disabled-are-choosing-to-die-because-they-cant-afford-to-live/